Le 7 janvier 2015, jour de l’attentat contre Charlie Hebdo, paraissait le livre de Michel Houellebecq, Soumission, dystopie inspirée par la thèse du « grand remplacement ». En couverture du numéro de Charlie Hebdo paru le même jour, la caricature d’un Houellebecq décati, proférant : « En 2015 je perds mes dents… en 2022 je fais ramadan ». C’est cette cruelle séquence historique, stupéfiante de compacité symbolique, que la jeune philosophe allemande Jule Govrin se propose ici d’analyser. Elle montre comment Soumission s’inscrit dans un agencement néoréactionnaire européen, homophobe et islamophobe, fondé sur la haine de 68 et sur l’idée d’un retour aux « valeurs » patriarcales traditionnelles présentées comme ultime refuge face aux injustices du néolibéralisme économique.
« Soumission comporte une charge réactionnaire dont l’efficacité n’est pas seulement due aux conditions de sa parution et à la provocation calculée qu’il contient. La force du texte résulte des stratégies narratives de mise en scène, qui guident le regard du lecteur vers une réalité prétendue, décrite comme un combat culturel et sexuel. Si l’on prend cette forme d’efficacité au sérieux, il n’est finalement plus très important de savoir si Houellebecq a jamais été le nihiliste raffiné et en même temps extravagant, encore un peu de gauche malgré tout, pour lequel il continue de passer. Il est possible que pour basculer du rôle d’agent provocateur de gauche à celui d’“anarchiste de droite” il se soit laissé emporter par le darwinisme social des thèses formulées par ses personnages. Dans le marécage où vivent ceux qu’on regroupe sous le concept de “néoréactionnaires”, ce genre de revirement d’opinion est relativement fréquent. »